Jacques Lefèvre

(les flûtes « Jack Leff ») vient de nous quitter. Avec sa disparition, un chapitre de la flûte française se referme pour toujours, celui du règne d'une certaine conception du son qui remonte à Louis Lot et que tous les flûtistes espéraient voir se prolonger.

Ma première rencontre avec Jacques remonte à 1961. Il faisait alors les flûtes sous le label Jardé, facteur de hautbois, dont l'atelier était tout proche de l'opéra Garnier. J'allais choisir une flûte d'étude et gravis les 7 étages qui menaient à l'atelier Jardé assez excité par l'acquisition d'un instrument dont on disait le plus grand bien. Mais dès mon arrivée je fus saisi de stupeur et de trac malgré le sourire bienveillant que m'adressa. Maxence Larrieu ! C'était bien la preuve que tous les flûtistes suivaient l'ascension de Jacques et du renouveau de la flûte française. Evidemment de mon point de vue cette rencontre intimidante ne me plaçait pas dans les meilleures conditions de sérénité pour l'essayage. Mais la gentillesse de ces deux maitres mit rapidement fin à mon trac.

Après ce premier contact, Jacques devint rapidement assez proche et fit pour moi pas moins de 8 flûtes, piccolo, 3 flûtes en ut, une alto, une basse et deux instruments dont je lui soufflai l'idée, le piccoletto (en mi B) et la flûte octobasse que je lui commandai en 1969 et qu'il réalisa en 1983. La première présentation mondiale eût lieu à Tokyo en octobre 1983, et la première française à l'IRCAM à Paris un mois plus tard.

Jacques Lefèvre est pour moi synonyme de complicité, d'heures de discussions autour de projets créatifs et originaux, parfois discussions animées et pas forcément consensuelles, mais toujours porteuses de nouveauté et d'exigence sur les questions de qualité.

Cher Jacques tu as accompagné mes plus précieuses années, celles de mes études et de mon entrée dans le « métier ». Tu seras toujours présent dans mon esprit et je te dis merci, un grand merci pour moi, mais surtout pour toute l'Ecole de flûte française. Repose en paix mon vieux complice

PY ARTAUD
1/10/2020


           Ma première rencontre avec Jacques Lefèvre s'est faite par le biais de mon professeur de Flûte, Jean-Marc Sandor, en 1978, j'avais 6 ans. Dans l'école de musique de mon village, Clermont-l'Hérault, j'ai débuté la flûte non pas sur une flûte, mais sur un Piccolo car mes bras étaient trop petits et les flûtes courbes ou goutte d'eau n'existaient pas encore. Mon cher professeur me préta son Piccolo qui est un Jack Leff. Je suis tout de suite tomber amoureux de sa sonorité. Quelques temps plus tard, mes parents m'en ont acheté une flûte traversière. C'est Jacques qui me vendit ma première Yamaha YFL-681. A chaque fois qu'il descendait avec Rolande, son épouse, à Sète, chez mon professeur, j'avais le privilège de le rencontrer et de passer un peu de temps avec lui. Je le voyais surtout au moment du Concert de Noël et il ne manquait pas de me dire ce qui allait, mais surtout ce qui n'allait pas. J'étais très impressionné par ce monsieur qui avait l'air sévère, mais au fond ce n'était qu'une apparence. Au fur et à mesure, nous avons lié une amitié. Un jour Jacques m'a dit : « Jean-Marc est ton professeur, moi je suis ton parrain musical ». Je suis ensuite rentré au Conservatoire de Montpellier pour continuer mes études et bien évidement il a fallu changer de flûte au bout d'un certain temps. Mon professeur du Conservatoire souhaitait que j'achète une Sankyo. En discutant avec mon premier professeur M. Sandor et Jacques, ils m'ont dit que ce n'était pas la peine. Jean-Marc Sandor jouait une Leff argent avec une embouchure Leff en Or. Jacques me dit tout simplement, je te fais une flûte. J'étais tout fier lorsqu'il me livra enfin son bijou !!! Tout fier de ma flûte, je me rendis à mon cours au conservatoire. Et quelle ne fut pas ma déception, lorsque mon professeur du Conservatoire ne me dit que des choses négatives sur cette flûte.. Peu importe, j'avais une flûte de Jacques et pour moi, c'était un moyen de poursuivre le son de la flûte française. Je dois avouer que j'en ai bavé, car effectivement les flûtes de Jacques sont difficiles à jouer. Mais à force de travail, une sonorité spéciale se fait et je me souviens lors des concours de fin d'année, où il venait écouter, le jury trouvait qu'il y avait quelque chose en plus dans ma sonorité. Je le dois à Jacques !!! Il prit sa retraite et vint s'installer à Portiragnes près de Béziers, donc pour moi c'était une chance de les avoir tous les deux près de chez moi. Jacques me parlait souvent de ses grands amis Roger Bourdin et Marius Beuf. Il me fit voir et essayer toutes ses flûtes du Piccoletto à la Flûte Octobasse en passant par la petite flûte en sol et la superbe Flûte Tierce en Mib. Et ses Piccolos, quelles merveilles !!!! Il savait que je désirais en avoir un, mais malheureusement mes parents n'avaient pas les moyens de m'en acheter. Un jour que je prépare le prix à Montpellier, Jacques et Jean-Marc Sandor m'ont dit que j'étais prêt et que c'était le moment. Sur le coup, je n'ai pas compris. Le 8 mai 1988, je partis avec Jean-Marc Sandor et son épouse direction Lyon, plus exactement Écully, sans savoir trop pourquoi. Arrivés à Écully, je fis la connaissance de Marius Beuf !!! Le Marius Beuf dont j'avais entendu si souvent parlé !!! J'avais l'impression de le connaitre et je fus accueilli comme si je faisais parti de la famille. Marius me fait monter dans sa salle de cours et surprise !!! Qui était assis et m'attendait.. Jacques Lefèvre !!! Quel bonheur de retrouver cette famille !!! Une forte amitié s'est faite entre Jacques, Marius, Jean-Marc et moi.

           Quelques jours avant mes 18 ans, Jacques appela chez mes parents pour nous inviter à manger chez eux le jour de mon anniversaire. Le jour J, nous y sommes allés. Arrivés chez Jacques et Rolande, première surprise, Marius et Sylviane Beuf étaient là !!! Le repas se passe en écoutant les anecdotes de Jacques et Marius qui parlaient de Marcel Moyse, Gaston Crunelle, Roger Bourdin et bien d'autres flûtistes. A la fin de celui-ci, Jacques disparaît et revient quelques instants après avec un paquet dans du papier bulle et me « C'est pour toi ». Je déballe cela et c'était un Piccolo en ébène !!! Jacques me dit que c'est un prototype qu'il venait de faire et que c'était pour moi. Je le lui paierai lorsque j'aurai économisé. Très belle journée !!!

           La somme enfin réunie, je vais régler ma dette à Jacques qui me dit simplement. Le Piccolo, je te le donne, je voulais simplement te faire économiser ton argent. Ce Piccolo est le seul que je joue depuis.

           Jacques était un être très gentil mais avec un sacré caractère qui n'en faisait qu'à sa tête. Il m'est arrivé d'être en colère car lorsqu'il me réglait la flûte ou le piccolo, s'il était de mauvaise humeur ou s'il ne voulait pas le faire, il faisait du mauvais travail.

           Jacques a énormément fait pour notre instrument. Il a toujours été curieux et dans la recherche d'innovation. Grâce à Pierre-Yves Artaud, Jacques a pu développer la famille des flûtes. Il a réussi aussi grâce au soutien et l'aide sans faille de Rolande son épouse.

           Pour moi, Jacques est une personne qui a beaucoup compter, et compte encore beaucoup dans ma vie de musicien et d'homme comme Marius Beuf et Jean-Marc Sandor.

           Jacques fait parti de l'Histoire de la Flûte !!!

A nous maintenant de perpétuer son œuvre.

Stéphane Valls